Piotr Illytch Tchaikovsky (1840 - 1893)
Tchaikovsky a composé 6 symphonies ainsi que le poème symphonique d'une structure similaire, Manfred, dont les compositions s'étalent sur près de 30 ans (de 1866 à 1893). Il a par ailleurs entamé deux autres projets de symphonie. La seconde, initiée en 1891-1892 et laissée à l'état d'ébauche, a fait l'objet de travaux de reconstruction et de quelques enregistrements (notamment par Eugène Ormandy et Neeme Järvi).
Ce sont les trois dernières qui sont les plus célèbres et régulièrement données en concert.
Composée durant l'année 1877, la symphonie a été créée à Moscou en février 1878. Elle est considérée comme le premier volet d'une trilogie symphonique autour du destin, avec les deux dernières symphonies. L'œuvre a rencontré un réel succès dès sa création et s'est rapidement imposée au répertoire dès la décennie 1880 à travers le monde.
Il existe environ 290 versions enregistrées en concerts ou en studio de cette symphonie que la plupart des chefs ont interprété (notamment 7 témoignages pour Kurt Sanderling et une dizaine pour Karajan).
Evgeny Mravinsky
Orchestre philharmonie de Leningrad 1960
Il s'agit de l'enregistrement en stéréo effectué par Mravinsky en 1960 à Londres par Deutsche Grammophon avec les deux dernières autres symphonies du compositeur. Dès les premières mesures avec les cors puissants, profonds et sombres, on est plongé dans un univers angoissé et tragique qui marque tout le premier mouvement de façon saisissante. Le second mouvement, andantino, est porté par un premier thème au hautbois aux sonorités et au vibrato typique. Les nuances très assez marquées et le tempo relativement soutenu refusent toute sentimentalisme. Le 3e mouvement en pizzicatos et bois prolonge cette vision avec une âpreté dans le style mais des couleurs superbes à l'orchestre. Enfin le finale est pris à tempo vif, dans une vision haletante et comme une course à l'abîme faussement triomphante.
Une interprétation incendiaire et tragique qui demeure une référence grâce un orchestre exceptionnel, un chef d'une extrême précision dans la mise en place, dans le rapport entre pupitres (les jeux de réponse entre cordes et bois dans le finale sont époustouflants) et dans le travail sur les nuances.
Antal Dorati
London Symphony Orchestra 1960
Quelques semaines avant Mravinsky, Antal Dorati enregistrait également à Londres cette symphonie. Et il en laisse aussi une lecture mémorable, toute en tension. Si l'orchestre n'a pas les sonorités caractéristiques des formations russes de l'époque, il est d'un niveau exceptionnel et répond aux intentions du chef avec un travail sur les couleurs de l'orchestre. Après un premier mouvement vif et enflammé, l'andantino transmet une émotion particulièrement intense, avec un phrasé sublime du hautbois solo. Le thème principal est articulé, nuancé avec une grande justesse et finesse, toujours en allant de l'avant. Ce deuxième mouvement est vraiment un moment fort de cette version et au sein de la discographie. Le troisième mouvement restitue un jeu chorégraphique très allant et chantant. Le FInale est abordé avec fougue et puissance pour servir une vision positive et plutôt comme une conclusion festive.
Une interprétation plus lumineuse que celle de Mravinsky, servie par un superbe orchestre et une direction enflammée.
La Cinquième symphonie a été composée durant l'année 1888 et créée en novembre de la même année, à Saint Pétersbourg, sous la direction même du compositeur. La symphonie est marquée par le thème du destin, ce qui correspond au projet voulu par le compositeur et est confirmé par ses notes préalables à l'écriture de l'œuvre (note du 15 avril 1888). Elle semble avoir été immédiatement bien reçue par la critique et rapidement reprise aussi bien à Londres, Hambourg et Vienne qu'à New-York.
Il est répertorié de l'ordre de 350 enregistrements de cette symphonie, la plupart des chefs ayant laissé un ou divers témoignages (une dizaine pour Karajan et près d'une quinzaine pour Mravinsky par exemple). Ce n'est donc pas le choix qui manque au sein d'une telle discographie.
Evgeny Mravinsky
Orchestre philharmonie de Leningrad 1960
En 1960, Mravinsky a enregistré à Londres avec les équipes de Deutsche Grammophon les trois dernières symphonies de Tchaïkovski à l'occasion d'une tournée au Royaume-Uni. Il avait déjà enregistré les deux dernières symphonies quatre ans auparavant pour le même éditeur mais alors en mono. Le chef et l'orchestre laissent dans cet enregistrement stéréo de 1960 une version légendaire et de référence, encore aujourd'hui. Le chef s'appuie sur un orchestre dont la perfection technique est ici totale. Les sonorités très spécifiques sont parfaitement restituées avec des cors très sombres et chauds (notamment le sublime solo au début du 2e mouvement), des trompettes claires et tranchantes, des cordes hyper virtuoses, des bois au vibrato typique qui participe de l'émotion transmise par chaque soliste, etc. Avec ces sonorités si précieuses et typiques, c'est le ton général, l'enchaînement des séquences, le travail extraordinaire sur les nuances, le mouvement permanent et la tension extrême de bout en bout font de cette interprétation une référence absolue qui témoigne d'une rare compréhension de l'univers voulu par le compositeur.
Evgeny Svetlanov
Orchestre symphonique d'Etat de Russie 1990
Il s'agit de l'enregistrement d'un concert donné le 3 juin 1990 à Tokyo, dans un belle prise de son, mais sans retouches et donc avec les scories d'un live. Cela n'altère en rien les qualités de cette version. L'orchestre était à l'époque l'un des plus impressionnants et avait préservé des sonorités si caractéristiques russes, avec un vibrato typique aux bois et cuivres. Et ici l'orchestre est transporté par son chef titulaire depuis de nombreuses années. Svetlanov offre une interprétation renversante, fiévreuse et passionnée qui culmine dans un finale totalement explosif.
Sergiu Celibidache
Münchner Philharmoniker 1991
La direction de Celibidache se caractérise une nouvelle fois, dans ce concert de mai 1991 à Munich, par des tempos très lents qui peuvent déconcerter. Mais le poids et l'intensité que le chef sait faire porter aux musiciens dans chaque phrase rend cette interprétation passionnante, même si elle est moins idiomatique que celles des grands interprètes russes. Le tempo permet ainsi tout particulièrement au 3e mouvement, la valse, de prendre toute sa dimension nostalgique et un peu décalée, qui en fait un moment totalement cohérent avec l'ampleur tragique du mouvement lent et le retour du destin dans un finale ici vraiment grandiose et saisissant.
Yuri Temirkanov
Orchestre philharmonique de Saint Petersbourg 1992
L'orchestre n'a certes plus les couleurs si typiques de l'époque où il était dirigé par Mravinksy. Il reste pourtant à un niveau exceptionnel, avec un son homogène, profond, des bois et cuivres qui conservent malgré tout une réelle personnalité avec encore ce vibrato typique. La direction de Temirkanov est réputée pour une certaine élégance, ce qu'on retrouve ici avec une interprétation exempte de tout mauvais goût. Le mouvement lent est une longue rêverie très émouvante, évoquant un profond sentiment nostalgique. On trouve dans les premiers et derniers mouvement une réelle tension dramatique malgré des tempos assez retenus.
La sixième et dernière symphonie du compositeur a été créée à Saint Pétersbourg en octobre 1893 par le compositeur lui-même. Le titre "Pathétique" aurait été donné par son frère après la création, sans que le compositeur ne le désapprouve. Ce nom correspond en effet bien au caractère recherché par Tchaikovsky, comme on peut le déduire de la lettre écrite à son neveu, et dédicataire de l'œuvre, en février de la même année où il annonce notamment que la symphonie se terminera par un adagio. Le caractère de la symphonie est effectivement tourmenté et dramatique. En outre, le compositeur mourut quelques semaines plus tard, ce qui conféra à cette ultime œuvre une dimension tragique prémonitoire. Après la première exécution au succès mitigé auprès du public et de la critique, l'œuvre s'est rapidement imposée comme un chef d'œuvre.
Il existe environ 360 enregistrements studios ou live, dont la plupart n'est pas disponible. A peu près tous les chefs ont en effet dirigé et enregistré cette partition, parfois à de nombreuses reprises (7 versions pour Svetlanov ou pour Toscanini par exemple).
Les chefs russes se distinguent à nouveau particulièrement au sein de cette immense discographie, notamment Melik-Pasheiev, Kondrashin, Svetlanov, Mravinsky, Markevitch, Temirkanov.
Evgeny Svetlanov
Orchestre symphonique d'Etat de Russie 1990
Avec Svetlanov, on dispose d'une version explosive du drame et de la symphonie. La densité, la puissance hors norme de l'orchestre et les couleurs russes spécifiques que le chef a façonné pendant des années, sont bien restitués dans cet enregistrement réalisé lors d'un concert de mai 1990 à Tokyo. L'orchestre était dans ces années là l'un des plus époustouflants au monde en concert. L'impact sur l'auditeur est ici saisissant. La tension est à son comble dans le premier et le dernier mouvement. Le troisième mouvement, trop souvent bruyant, est ici enflammé avec un chef et un orchestre totalement déchaînés et s'achève dans un crescendo jamais entendu ailleurs. Le caractère tragique du finale est porté au plus haut niveau d'intensité dramatique.
Il s'agit d'un concert qui n'a pas été retouché, les quelques scories n'ont donc pas été corrigées, sans que cela n'altère l'effet renversant de l'interprétation.
Kurt Sanderling
Orchestre symphonique de Berlin 1979
Le chef allemand, qui dirigea la Philharmonie de Saint Pétersbourg aux côtés de Mravinsky entre 1942 et 1959, a gravé une version poignante de cette symphonie. Sa vision n'est pas démonstrative mais porteuse d'une tension dramatique contenue et intense, avec des tempos retenus. Le son de l'orchestre est puissant et chaleureux, sans être trop soyeux pour ce répertoire.
Une version dramatique, poétique et bouleversante.