Johann Sébastian Bach (1685-1750)
Christoph Pregardien, Max van Egmond, René Jacobs, Christian Fliegner,
Maximilian Kiener, Marcus Schäfer, Klaus Mertens
Gustav Leonhardt - La petite bande, Tölzer Knabenchor 1989
Gustav Leonhardt, secondé par Sigiswald Kuijken, premier violon et chef de La petite bande, propose une version d'une splendeur et d'une ferveur exceptionnelles. L'orchestre sonne très riche, avec de superbes couleurs très chaudes, malgré un effectif réduit. Le chœur est tout aussi beau. L'évangéliste de Christoph Prégardien est équilibré et bien timbré, Max van Egmond et René Jacobs chantent avec grandeur et émotion leurs airs. Pour être totalement authentique, les parties de femme sont tenues par des enfants. On pourra cependant préférer des voix de femmes, plus riches en couleurs et en intentions.
La direction de Leonhardt est vraiment d'une puissance et porteuse d'une émotion très fortes, ce qui en fait une référence incontestable dans cette œuvre, au-delà des questions d'authenticité, depuis maintenant près de 30 ans.
Sunae Im, Bernarda Fink, Werner Güra, Johannes Weisser,
Christina Roterberger
René Jacobs - Akademie für alte Musk, Rias Kammerchor Berlin 2012
L'interprétation de René Jacobs apparaît plus dramatique voire théâtrale que celle de Leonhardt, avec des récitatifs particulièrement animés, soutenus par un luth-orgue alternant avec clavecin - basse, comme basses continues. Cette vision est tout aussi enthousiasmante, l'ensemble étant également d'une très grande cohérence, avec là aussi des couleurs très riches et surtout un chœur d'une splendeur exceptionnelle, constitué du Rias Kammerchor renforcé par le Staats et Domchor de Berlin. Les solistes sont tout aussi excellents, avec le très bel évangéliste, souple mais pas trop léger de Werner Güra.
Christoph Pregardien, Harry van der Kamp, Barbara Schlick, René Jacobs
Sigiswald Kuijken, La petite bande 1987
Pendant de la Passion Selon St Matthieu par Lenohardt, cette version de la Passion selon St Jean est donnée par la même formation mais sous la direction de Kuijken, et avec une soprano plutôt qu'un enfant. On y retrouve le même esprit de ferveur, une grande richesse dans les couleurs chez les instrumentistes, parmi lesquels les frères Kuijken, Konrad Junghänel au luth ou Pierre Hantaï à l'orgue positif. L'ensemble sonne avec générosité et il se dégage une émotion contenue mais réelle de bout en bout.
Barbara Schlick, Kai Wessel, Guy de Mey, Klaus Mertens
Ton Koopman, Amsterdam baroque orchestra & choir 1994
Ton Koopman a beaucoup donné en concert cette messe en si et en a effectué un enregistrement début 1994 en l'église wallone d'Amsterdam. Il restitue parfaitement la richesse de cette partition, dans ses couleurs, sa ferveur et ses moments de fête, tel l'Hosanna dans le Sanctus. Le Qui tollis peccata mundi, dans la deuxième partie Gloria, ou le Crucifixus et l'Et incarnatus est de la troisième partie Credo, en particulier, sont des moments d'une piété et d'une émotion intérieure magnifiquement rendus. Cela repose en particulier sur une conduite de la ligne très pure du chant choral et sur un mouvement parfaitement dosé de la partie orchestrale. Les solistes se fondent bien dans cette vision globale du chef, avec toujours un grand sens musical et un chant sobre mais émouvant. Enfin le chœur final porte parfaitement bien l'ouverture vers la lumière et la paix, avec un son riche et clair qui se déploie en fur et à mesure.
Helen Donath, Brigitte Fassbaender, Claes H.Ahnsjö, Roland Hermann,
Robert Holl
Eugen Jochum - Choeur et orchestre de la radio bavaroise 1980
Malgré la date d'enregistrement, nous sommes ici loin d'une interprétation sur instruments anciens et cette version est marquée par un son et des effectifs qui ne regardent pas vraiment du côté d'un travail historiquement informé. En même temps, les tempos retenus ne sont pas non plus particulièrement lents et dans le jeu de l'orchestre c'est globalement une certaine articulation qui prévaut plutôt que qu'un legato permanent appuyé. Ce jeu ne s'inscrit donc en cela pas tout à fait dans une esthétique post-romantique. Il en est de même pour le chœur qui dans certaines parties allège le son. Surtout la grandeur et le sentiment de piété sont très forts, ce dès que le chœur d'entrée et ils traversent toute l'œuvre. Cette version en est totalement bouleversante, au-delà de toute question de choix esthétique d'interprétation.
Johannes Brahms (1833-1897)
Elisabeth Grümmer, Dietrich Fischer-Dieskau
Rudolf Kempe - Berliner Philharmoniker 1955
Enregistrée en 1955 à la Jesus Christus Kirche de Berlin, cette version reste une référence au fil du temps. Elle bénéficie du très beau chœur de la cathédrale Ste Edwige dirigée alors par Karl Forster dont la profondeur, l'ampleur et l'homogénéité des voix est plutôt bien restituée malgré l'ancienneté de l'enregistrement. Rudolf Kempe propose une vision assez sombre de l'œuvre, avec un orchestre puissant et des tempos retenus. Les articulations à l'orchestre comme dans les interventions du chœur, les lignes dans les bois sont tendues et répondent totalement aux choix interprétatif du chef. Les deux solistes sont exceptionnels, Fischer Dieskau, malgré un timbre clair est tragique, Elisabeth Grümmer absolument céleste.
Barbara Bonney, Andreas Schmidt
Carlo Maria Giulini - Wiener Philharmoniker 1987
Ce live réalisé en juin 1987 au Musikverien de Vienne dispose d'une superbe prise de son. On peut ainsi apprécier pleinement les timbres de la Philharmonie de Vienne qui répondent à l'interprétation méditative sinon contemplative de Giulini. Avec le chef nous sommes déjà dans l'au-delà céleste, caractéristique de ce qu'il était capable de suggérer lors de ses derniers concerts dédiés à des programmes de musique religieuse. Il partage avec ses auditeurs et musiciens une forme de sérénité et de plénitude grâce à la fluidité des phrasés et la couleur d'ensemble qu'il obtient du chœur et de l'orchestre. C'est en cela que les couleurs naturelles de la Philharmonie de Vienne sont alors particulièrement adaptées aux attentes du chef.
Les solistes s'intègrent parfaitement dans la globalité de cette interprétation, avec l'humilité et la simplicité qui s'imposent ici.
Elisabeth Norberg-Schultz, Wolfgang Holzmeier
Herbert Blomstedt - San Francisco Symphony Orchestra 1993
Blomstedt offre encore une autre vision de l'œuvre, résolument lumineuse et radieuse. Chaque mouvement, chaque phrase semble en effet tourné vers la lumière. Il est servi par un bel orchestre et un chœur homogène dont la couleur est elle aussi claire. Le choix des solistes, qui peuvent paraître un peu léger, répond à cette vision d'ensemble du chef.
Antonin Dvorak (1841-1904)
Dvorak compose ce requiem en 1890, en vue du festival de Birmingham. Il créera lui-même l'œuvre au festival en octobre 1891. L'œuvre est à la fois considérée comme l'une de ses compositions les plus importantes, et en même temps elle est finalement peu jouée ou enregistrée. Il s'agit pourtant bien d'une œuvre majeure et emblématique du compositeur qui est dans sa maturité et en pleine gloire. Il aborde l'œuvre religieuse avec originalité et profondeur, une grande ferveur et toujours une grande inspiration.
Deux versions rendent tout particulièrement justice à ce chef d'œuvre.
Gabriela Benackova-Capova, Brigitte Fassbänder, Thomas Moser,
Jan-Hendrik Rootering
Wolfgang Sawallisch - Chœur & orchestre philharmoniques tchèque 1984
Plus de trente ans après avoir été réalisé, cet enregistrement de Sawallisch est toujours un modèle d'équilibre et de ferveur liturgique. Il bénéficie pour cela du chœur exceptionnel de la Philharmonie tchèque, dirigé p<à cette époque par Lubomir Matl, généreux, ample et profond, parfaitement homogène des basses aux sopranos, comme alors très peu de chœurs. Il y a également l'orchestre qui dispose encore de couleurs caractéristiques et splendides qui assure un caractère idiomatique à l'écriture de Dvorak, quand bien même l'œuvre avait été commandée par Birmingham. Enfin les solistes sont excellents et en adéquation parfaite avec la conception du chef.
Pilar Lorengar, Erzsebet Komlossy, Robert Ilosfalvy, Tom Krause
Istvan Kertész - Ambrosian Singers et orchestre symphonique
de Londres 1968
La direction de Kertez est dramatique et sombre, ce qui rend le Dies irae ou le Confutatis maledictis particulièrement saisissants, le caractère introspectif de la partition étant toutefois peut-être moins mis en avant. La vision du chef reste néanmoins captivante tout le long de l'œuvre. Le chœur et l'orchestre, sans avoir des couleurs aussi spécifiques que les tchèques, sont également chauds et amples. Les chanteurs, dont ressort tout particulièrement la soprano Pilar Lorengar, forment un quatuor excellent.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Le requiem est la dernière œuvre, laissée inachevée par le compositeur qui y travailla à intervalles réguliers et jusque dans ses tout derniers jours, début décembre 1791. On sait aujourd'hui qu'il devait écrire cette partition sur commande du comte Walsegg. Ce dernier était habitué, comme nombre de ses contemporains, à faire écrire des œuvres pour son compte et se faire passer pour lui-même pour le compositeur. Il avait fait cette commande à l'occasion du décès de son épouse. Mais Mozart, malgré le résultat absolument génial, rencontrait des difficultés pour composer ce requiem. Mais il a semblé lui-même y voir une composition annonciatrice de sa propre mort. A travers plusieurs de ses créations, il faisait transparaître sa relation angoissée à la mort, bien avant ce requiem. Tout cela n'a ensuite pas manqué de contribuer à une lecture romantique, des circonstances de la mort de Mozart, d'ETA Hoffmann à Milos Forman dans son film Amadeus, loin de la réalité mais peut-être aussi suscitée par la façon dont la veuve de Mozart, Constance, a tenté de "romancer" le contexte de la composition de l'œuvre et des derniers jours de son époux.
Pour répondre à une commande en partie déjà payée par son commanditaire, Constance Mozart devait faire achever la composition, ce qui finit par échoir à un élève de Mozart, par défaut, Süssmayr, le seul alors à accepter cette tâche. Mozart aurait écrit jusqu'aux premières mesures du Lacrimosa, laissant quelques esquisses pour d'autres parties. Le travail de Süssmayer a été souvent critiqué, mais il est en fait difficile de définir ce qui lui revient précisément des fragments ou indications de la main de Mozart. Des travaux sur l'orchestration ont été menés, conduisant au début des années 80, Harnoncourt à jouer et graver une version revue sur ce point. D'autres tentatives pour écrire une nouvelle fin ont été également tentées. Mais c'est d'abord l'interprétation qui compte pour restituer, au-delà des apports de Süssmayer, voire de traditions, l'essence du génie mozartien qui fait de ce requiem une œuvre aussi extraordinaire et populaire.
Parmi la multitude de versions enregistrées, on citera trois enregistrements essentiels et indémodables.
Teresa Stich-Randall, Ira Malaniuk, Waldemar Kmentt, Kurt Böhme
Karl Böhm- Chœur de l'opéra et orchestre symphonique de Vienne 1956
Plutôt que son second enregistrement pour Deutsche Grammophon, on pourra privilégier cette première version laissée par Karl Böhm. L'enregistrement est plus ancien et la prise de son moins flatteuse. Mais l'interprétation est d'une réelle noirceur, davantage que grandiose, avec un effectif certes important. Le chœur a des couleurs sombres et un caractère tragique et glacial prédomine. Il s'agit d'une interprétation très forte de l'œuvre. La basse Kurt Böhme, au style rugueux, s'inscrit pleinement dans ce caractère, tandis que Teresa Stich-Randall apporte une lumière fragile lors de ses interventions.
Helen Donath, Christa Ludwig, Robert Tear, Robert Lloyd
Carlo Maria Giulini - Philharmonia Chorus & Orchestra 1978
Avec Giulini, nous sommes dans un style grandiose, avec de grands effectifs à l'orchestre et pour le chœur. Mais il dispose d'un chœur dirigé par l'un plus fameux chefs de chœur, Norbert Balatsch. On retrouve les miracles que le chef savait faire, avec un chœur d'une homogénéité et d'une ampleur exceptionnels. Et puis il y a un souffle qui traverse la partition sous l'impulsion de Giulini vraiment saisissante. L'introduction du requiem comme les célèbres rex remandiae lacrimosa sont d'une puissance extraordinaire. Tout cela n'est absolument pas pesant, mais au contraire plein de vie, d'imploration et de ferveur. Le quatuor de soliste est bon et homogène.
Rachel Yakar, Ortrun Wenkel, Kurt Equiluz, Robert Holl
Nikolaus Harnoncourt - Concentus musicus Wien 1982
Harnoncourt a enregistré par deux fois ce requiem avec le Concentus musicus de Vienne. La seconde version est souvent retenue dans les discographies comparées. On pourra pourtant plutôt revenir avec plaisir à sa première version. Le quatuor de soliste apparaît plus convaincant dans l'ensemble que celui du second enregistrement. Mais surtout la rupture d'interprétation paraît ici à la fois plus marquée dans le traitement des nuances et des phrasés tout en assurant une dimension tragique forte. Enfin, on y trouve en outre davantage d'émotion.
Une version de l'œuvre qui garde une grande force à la réécoute aujourd'hui.
Giuseppe Verdi (1813-1901)
La composition de ce requiem a été suscitée par la disparition de l'écrivain Manzoni, un monument de la culture italienne dont Verdi se sentait très proche. Il a écrit cette œuvre en 1873, en repartant du "Libera me" qu'il avait composé en 1868. Ce "Libera me" était la contribution de Verdi à la composition d'une messe collective en hommage à Rossini, commandée à l'époque à une dizaine de compositeurs mais qui ne fut finalement pas créée. Verdi assura lui-même les répétitions et la création de son requiem en 1874, pour l'anniversaire de la disparation de Manzoni. Toutefois l'œuvre rencontra d'emblée un grand succès auprès du public, la critique de l'époque étant davantage partagée au motif que l'œuvre avait un caractère un peu trop théâtral. Le succès de cette partition ne s'étant jamais démentie, le nombre d'enregistrements disponible est important, depuis celui, excellent, effectué sous la direction de Carlo Sabajno en 1929 et jusqu'à celui dirigé par Gianandrea Noseda avec le LSO, d'une tension extrême, en passant par Victor De Sabata, Eugen Jochum, Ferenc Fricsay, Herbert von Karajan, Carlo Maria Giulini, Georg Solti, Ricardo Muti, Claudio Abbado, Lorin Maazel, Daniel Barenboïm, etc.
Herva Nelli, Fedora Barbieri, Giuseppe di Stefano, Cesare Siepi
Arturo Toscanini - NBC Symphony Orchestra 1951
Toscanini allie énergie et souplesse des phrasés pour traduire les différentes facettes religieuse et théâtrale de la partition. Le tempos sont parfaitement équilibrés, tendus mais sans précipitation. L'équilibre entre les pupitres, l'alternance des grands moments de tension et de ferveur lumineuse suscitent une émotion constante, un sentiment d'évidence dans le flux du discours musical.
Les solistes sont en phase avec cette direction et l'on perçoit nettement la poigne du chef auprès de ses chanteurs pour s'inscrire dans un ensemble, à l'image de Fedora Barbieri d'une grande et inhabituelle sobriété et rigueur. Di Stefano et Siepi sont sublimes de timbre et de ferveur, et Herva Nelli se montre exceptionnelle ici.
Tout cela fait de cette interprétation une référence à laquelle on reviendra toujours, malgré une discographie toujours plus riche de l'œuvre.
Leontyne Price, Rosalind Elias, Jussi Björling, Giorgio Tozzi
Fritz Reiner - Wiener Philharmoniker 1959
L'interprétation de Fritz Reiner peut ne pas sembler tout à fait idiomatique mais elle est également exceptionnelle. La vision du chef est extrêmement sombre et terrifiante, avec le souffle glacial de la mort qui plane sur l'ensemble de la partition. Quelques moments plus célestes, avec l'Agnus dei notamment, apportent quelques éclaircies temporaires. Cette version bénéficie d'un très beau quatuor de solistes, parmi lesquels Leontyne Price qui offre la plus belle interprétation de la partie de soprano de toute la discographie, aussi bouleversante dans l'Agnus dei que le Libera me.
Anja Harteros, Sonia Ganassi, Rolando Villazón, René Pape
Antonio Pappano - Chœur & orchestre de l'Académie Ste Cécile 2009
Parmi les différentes versions les plus récentes, celle de Pappano, enregistrée live au Parco della musica à Rome est une grande réussite. La direction du chef est très inspirée, trouvant un parfait équilibre entre les différentes dimensions de l'œuvre, avec un très bel orchestre et un excellent chœur. Le Dies irae est très impressionnant et spectaculaire, sans jamais être clinquant. Le son est travaillé en profondeur. Mais les moments plus lyriques ou d'imploration sont tout autant empreints de grandeur et d'émotion.
Les solistes sont des stars internationales au moment de l'enregistrement et se montrent en phase avec le chef.