Alexandre Borodine (1833 - 1887)

L'unique opéra composé par Borodine, mais largement inachevé, a été complété et en grande partie orchestré par Glazounov et Rimsky-Korsakov. L'ouverture et l'acte 3 n'ont pas ou quasiment pas été composés par Borodine, c'est pourquoi l'acte 3 a longtemps été coupé lors des représentations ou enregistrements. La version enregistrée par Gergiev tente de restituer une version complètement revue de l'œuvre telle qu'imaginée par Borodine sur la base de travaux du musicologue soviétique Pavel Lamm  et de différents manuscrits de Borodine sur ses réflexions et intentions. Il est donc intéressant d'écouter les différentes versions sans qu'aucune ne puisse cependant prétendre répondre de façon évidente à la volonté de Borodine.

Peu de versions ont été enregistrées au regard de la célébrité de l'ouvrage, notamment due aux Danses Polovstiennes, mais elles sont dans l'ensemble toutes intéressantes. La dernière, sortie en DVD, dirigée par Noseda à New-York et avec Abdrazakov dans Igor est également très réussie.

Melik-Pashayev a enregistré deux fois l'œuvre, à chaque fois sans le 3e acte. Le premier enregistrement datant de 1941 est peut-être encore plus tendu au plan orchestral mais la prise de son est vraiment précaire. Son second enregistrement possède une distribution idéale. Le baryton Andreï Ivanvov est impressionnant d'autorité et de présence. Smolenskaya, malgré quelques phrases parfois un peu datées, dans l'intonation ou le style, est malgré tout une Yaroslavna magnifique, de même que Borisenko. Plus encore, Lemeshev, dont l'air est un morceau d'anthologie, Pirogov et Reizen sont absolument indépassables dans leurs rôles respectifs avec leurs voix et personnalités hors du commun.

Une très belle distribution bulgare est réunie pour cet enregistrement. En tête, Miltcheva chante l'air de Konchakova comme personne, avec un timbre, une sensibilité et une ligne de chant superbes. B.Martinovitch incarne avec une belle présence un Igor nuancé, humain et combatif. La soprano Evstatieva s'impose en Yaroslavna, avec une voix chaude, puissante, et les deux célèbres basses bulgares sont toujours saisissantes de profondeur de timbre. Ils ne se contentent pas de bien chanter mais cherchent aussi à caractériser leurs personnages sans en rajouter. Enfin Tchakarov dirige l'ensemble avec conviction et offre de très beaux moments, comme le final de l'acte 1.

La version dirigée par Gergiev repose sur une nouvelle édition critique modifiant notamment l'ordre de scènes et des actes 1 et 2 pour donner une cohérence plus grande à la construction dramatique. La troupe homogène du Kirov est constituée de très belles voix qui ont fait la gloire du théâtre dans les années 90. Ainsi Gorchakova, Borodina et Grigorian sont superbes. Grigorian propose un Vladimir moins élégiaque, plus héroïque que Lemeshev ou Kozlovsky (dans le premier enregistrement de Melik-Pashaev en 1941). Gorchakova, à la  voix somptueuse, incarne son personnage avec force. Mihail Kit dispose également d'une assez belle voix mais interprète le protagoniste avec un engagement moindre. 

Surtout le chef, à la tête d'un très bel orchestre, emmène l'ensemble de la troupe avec fougue et maintient la tension tout au long des scènes.