Wolfgang Amadeus Mozart (1756 - 1791)

 

Idomeneo

Werner Hollweg, Trudeliese Schmidt, Rachel Yakar, Felicity Palmer

N.Harnoncourt - Chœur et orchestre de l'opéra de Zurich            1984

Harnoncourt a enregistré ici la version première réalisée par Mozart pour Munich en 1780, sans ajout postérieur, en particulier le grand air ajouté pour la scène de folie d'Electre à la fin de l'opéra, mais incluant le ballet final. Le chef avait par ailleurs enregistré un disque de compléments des airs et duos composés en particulier pour la révision ultérieure à l'occasion d'une représentation à Vienne. C'est lors de cette révision que la partie d'Idamante a été transposée de mezzo à la tessiture de ténor. Malheureusement ces compléments sont désormais difficile à trouver. La direction d'Harnoncourt est exceptionnelle par sa fougue voire une certaine violence qui convient parfaitement à ce drame se déroulant au retour de la guerre de Troie. Elle fait aussi la jonction entre le style des opéras de Gluck et celui des grandes œuvres mozartiennes, ce qui n'est ni un contresens ni un appauvrissement de l'œuvre, au contraire. La dimension dramatique s'en trouve renforcée et la tension théâtrale, avec un discours musical plus fluide entre les récitatifs et les arias, redonne une cohérence et un intérêt continu que l'opéra n'a pas tout à fait naturellement. Avec cette direction géniale d'Harnoncourt on reste donc captivé par l'opéra du début à la fin, comme avec aucun autre des chefs de la discographie.

La distribution est très belle et en phase avec la vision du chef. Elle ne comporte pas de grandes stars, contrairement à d'autres versions, mais elle est sans faiblesse et composée de chanteurs qui sont vocalement très bons et dramatiques, très crédibles et convaincants, habitués à chanter divers rôles à Zurich sous la direction d'Harnoncourt.

 

         Richard Lewis, Leopold Simoneau, Sena Jurinac, Lucille Udovick

         J.Pritchard - Chœur et orchestre du festival de Glyndebourne      1956

Le premier des deux enregistrements réalisés par Pritchard de cet opéra, suite à des représentations au festival de Glyndebourne,  est une grande réussite. Sans y mettre un engagement théâtral aussi marqué qu'Harnoncourt, le chef imprime une tension réelle dès l'ouverture. Il prend des tempos assez vifs et parfaitement dosés qui permettent d'éviter toute lourdeur et de faire avancer le drame musical. La distribution comprend le ténor Richard Lewis dans le rôle-titre, dont ce fut l'un des grands rôles et qui s'impose par une grande présence vocale et dramatique. Ici le rôle d'Idamante a été confié à un ténor, conformément à la révision de Vienne. Le contraste entre le père et le fils est moins marqué puisque les deux rôles sont tenus par des ténors. Cependant, la voix élégiaque de Simoneau, à la superbe ligne de chant, assure une différence vocale réelle entre les deux rôles. Sena Jurinac offre des moments de grâce extraordinaire dans le rôle d'Ilia qui suffirait en soi à écouter cette version. Mais le rôle d'Electre est également extraordinairement chanté par Lucille Udovick qui, avec son timbre particulier et percutant, offre un personnage parfaitement halluciné.

Une très grande version historique qui demeure une référence que le chef n'a d'ailleurs pas vraiment égalée, lors de son enregistrement réalisé en 1983 avec Pavarotti. La prise de son est ici un peu terne et manque de relief, ce qui atténue malheureusement un peu la force et la richesse de la direction du chef.

 

L'enlèvement au sérail

         Anneliese Rothenberger, Lucia Popp, Nicolaï Gedda, Gerard Unger,

         Gottlob Frick         

         J.Krips - Staastopernchor & Wiener Philharmoniker                        1966

Il s'agit ici du second des deux enregistrements en studio laissés par Josef Krips. Comme dans sa précédente version, le chef offre une lecture élégante, vivante, lumineuse, très colorée et très poétique, s'appuyant en cela sur le somptueux orchestre philharmonique de Vienne. Les tempos ne sont pas particulièrement vifs et le côté théâtral n'est pas accentué comme chez d'autres aujourd'hui, mais les phrasés et articulations assurent un discours musical allégé, allant et fluide. Cette version bénéficie par ailleurs d'une distribution homogène et de haut niveau. Nicolai Gedda incarne un Belmonte radieux, Gottlob Frick un Osmin profond et théâtral mais pas caricatural. Rothenberger est une belle Konstanze, avec une voix relativement légère mais un timbre lumineux. Lucia Popp et Gerhard Unger composent le couple comique en soignant les lignes vocales et incarnent leurs personnages avec naturel, sans excès.

Une version qui reste au fil du temps un modèle d'équilibre, de finesse et de poésie.

 

         Yvonne Kenny, Lilian Watson, Peter Schreier, Wilfried Gamlich,

         Matti Salminen

         N.Harnoncourt - Chœur et orchestre de l'opéra de Zurich            1985

On retrouve ici la direction théâtrale, enlevée de Nikolaus Harnoncourt qui, à cette occasion, revenait alors sur certaines traditions d'interprétation, de phrasés et de tempos, sans pour autant chercher à bousculer arbitrairement la partition. Sa lecture est enthousiasmante, par son dynamisme mais aussi par la finesse dans les nuances, les articulations et les couleurs. Il dispose d'une belle distribution, dominée, d'une part, par la très belle Kontanze d'Yvonne Kenny, émouvante, à l'aise sur toute la tessiture et dans les vocalises tout en disposant d'une voix fruitée et ronde, d'autre part, par la très grande basse Matti Salminen, très impressionnant et particulièrement convaincant. Peter Schreier chante avec beaucoup d'élégance, même si le timbre est devenu à l'époque moins chatoyant pour ce rôle.

 

Don Giovanni

L'opéra le plus célèbre du compositeur, avec La Flûte enchantée, bénéficie d'une discographie pléthorique et souvent de grande qualité. Les plus grands chefs et chanteurs l'ont abordé sur scène voire enregistré. On dénombre environ 200 versions live  ou studio de l'opéra dont la plupart mérite sans doute d'être entendue pour tout ou partie des interprètes. Pour autant, quelques enregistrements et incarnations marquent tout particulièrement l'interprétation de cet ouvrage et demeurent des incontournables. Parmi toutes les excellentes versions, il y en a au moins quatre indispensables, proposées ici. 

 

Ezio Pinza, Alxander Kipnis, Rose Bampton, Jarmila Novotna, Charles Kullman

B.Walter - Metropolitan Opera, New York                                             1942

Il existe deux versions exceptionnelles de l'opéra dirigées par Bruno Walter, immense chef mozartien, dont une provenant du festival de Salzbourg en 1937. L'une comme l'autre permettent d'entendre l'un des plus extraordinaires interprètes du rôle titre, la basse italienne Ezio Pinza, disposant d'un timbre sombre et somptueux et d'une présence particulièrement forte. Le reste de la distribution est exceptionnel, avec la basse russe A.Kipnis, les deux sopranos, superbes de voix et aux incarnations brûlantes. C.Kullmann est un Don Ottavio à la ligne vocale élégante et qui sait préserver son personnage de la fadeur.

Avant tout la direction de Walter est haletante, avec des attaques marquées à l'archet et des accords martelés avec une certaine sécheresse. Les tempos sont rapides, comme l'approche des "baroqueux" le fera des décennies plus tard. Si Bruno Walter choisissait souvent des tempos rapides, cela correspond également manifestement à des choix qu'on retrouve par la plupart des chefs au Met dans les années 30 et 40, répondant manifestement au goût et à l'esthétique de l'époque, et qui revient effectivement aujourd'hui. Mais Walter ne se contente pas d'aller vite, il crée un climat de tension voire de férocité dans les accents, qui emporte l'ouvrage d'un tenant, certes davantage sur le seul drame que le côté giocoso de l'opéra. Cela ne nuit pour autant pas à l'œuvre, le côté comédie devenant ainsi surtout grinçant, noir, ce qui n'est pas un contresens, au contraire.

Une version mythique et historique, indispensable malgré la qualité du son, puisqu'il s'agit d'un live de 1942.

 

Cesare Siepi, Otto Edelmann, Elisabeth Grümmer, Elisabeth Schwarzkopf, Anton Dermota

W.Furtwängler - Chœur et orchestre philharmonique de Vienne      1953

Il existe trois live provenant du festival de Salzbourg dirigés par Furtwängler, en 1950, 1953 et 1954. La version de 1950 bénéficie d'une distribution partiellement différente des deux autres années, avec en particulier Tito Gobbi dans le rôle titre et Ljuba Welitsch dans Donna Anna. Ce qui fait l'intérêt absolu du live de 1950 sont d'une part Irmgard Seefried, la plus sublime Zerlina possible et Anton Dermota qui atteint la perfection dans ses deux airs. Mais globalement, c'est la version de 1953 qui est à écouter en priorité du fait de sa distribution la plus homogène parmi celles des trois années. Les tempos du chef sont assez lents et c'est la force dramatique et grandiose qui emporte ici toute l'œuvre. Otto Edelmann dans Leporello apparaît assez rustre et offre un important contraste avec le Don Giovanni, jeune, imposant et hautain de Cesare Siepi, grand successeur de Pinza dans le rôle. Il incarne un très grand seigneur avec une voix puissante et sombre, à l'autorité naturelle, un timbre splendide. Elisabeth Grümmer, avec sa voix claire caractéristique, est d'un grand engagement, conférant ainsi à son personnage un caractère torturé et enflammé. Elisabeth Schwarzkopf est à son sommet dans le rôle d'Elvira, somptueuse de timbre et d'une grande dignité. Anton Dermota délivre de son côté une leçon de chant mozartien permanente et offre une réelle profondeur à son personnage. Enfin Raffaele Arie est l'un des commandeurs les plus impressionnants de la discographie.

Une soirée fascinante et  indémodable enregistrée au festival de Salzbourg avec une troupe légendaire.

 

Eberhard Wächter, Giuseppe Taddei, Joan Sutherland, Elisabeth Schwarzkopf, Luigi Alva

M Giulini - Philharmonia chorus & orchestra                                          1959

L'enregistrement de ce Don Giovanni était prévu d'abord pour être dirigé par Beecham puis par Klemperer. Ce dernier étant malade, c'est Carlo Maria Giulini qui accepta de prendre la place et permit ainsi la réalisation de la référence incontestée au fil des ans de l'opéra. Sa direction est en effet un modèle d'équilibre et de justesse entre les dimensions dramatique et comique. Il apporte une chaleur et une lumière constante à l'orchestre qu'il fait chanter avec une certaine jubilation. Les phrasés sont constamment allant, sans que le tempo ne soit précipité ni le texte musical brutalisé. Cette version est plein de vie et d'une impulsion théâtrale forte, bien que réalisée en studio. L'accompagnement de l'air du catalogue de Leporello ou le se sextuor du 2e acte est un modèle de finesse, de souplesse et de jeu sur les couleurs. Ces qualités constantes sont au service d'une vision très forte portée par le chef de bout en bout. La distribution réunie est constituée de chanteurs qui, pour la plupart, étaient en début de carrière, même s'ils deviendront des stars par la suite. Ils sont tous portés à leur meileur engagement vocal et dramturgique par le chef, au-delà même des qualités incontestables individuelles. 

 

Thomas Hampson Laszlo Polgar, Edita Gruberova, Roberta Alexander, Hans Peter Blochwitz

N.Harnoncourt - Royal concertgebow Amsterdam                                1988

Harnoncourt adopte une approche inspirée de ces années de recherche d'interprétations historiquement informées mais avec un orchestre moderne aux couleurs somptueuses, allié à un sens aigu du drame. Sa direction est ainsi passionnante d'inventivité et marquée d'un grand sens théâtral, mais sait éviter les excès d'autres interprétations plus récentes. Il bénéficie d'une très belle distribution, équilibrée et dominée par Thomas Hampson dans Don Giovanni. Celui-ci, avec un timbre de baryton assez clair, retranscrit idéalement toutes les facettes du personnage, que ce soit dans la brutalité, le mépris, la séduction ou la fougue. Roberta Alexander, au timbre chaud, incarne avec justesse une femme blessée et d'une grande dignité, Gruberova apporte sa voix particulière à Donna Anna de façon assez convaincante, Blochwitz confère la noblesse mais aussi une certaine épaisseur au personnage difficile de Don Ottavio.